Oscar Heisserer, le meilleur footballeur alsacien de l’histoire
Pour la petite histoire se penche aujourd’hui sur Oscar Heisserer , celui qui est considéré par beaucoup de connaisseurs comme le meilleur footballeur alsacien de tous les temps. Le « Platini alsacien », maitre à jouer du RCS et de l’équipe de France, militaire et sauveur de juifs pendant la seconde guerre mondiale, milieu de terrain infatigable et entraineur pointilleux, banquier et cordonnier, sa vie est une fresque incroyable et pourtant peu connue.
Des débuts en fanfare
Né au cours d’un fameux été de 1914 à Schirrhein alors que l’Alsace était encore rattachée à l’empire allemand, Oscar Heisserer est le fils d’un ancien restaurateur et haltérophile. Il se passionne dès sa jeunesse par le football, alors en plein développement après la Première Guerre Mondiale.
Il commence dans son village à Schirrhein, puis remporte deux titres de champion d’Alsace en 1933 et 1934 avec le FC Bischwiller.
Heisserer est alors repéré par le Racing Club de Strasbourg, son club de cœur, où il passera professionnel (chose encore assez rare à l’époque) et où il commencera à être convoqué en équipe de France. Le joueur va passer 4 saisons à éblouir le public de la Meinau. Solide physiquement doté d’une excellente vision de jeu et d’une énorme combativité, il devient le maitre à jouer de l’équipe alsacienne (au poste d’inter gauche comme on disait à l’époque).
Il gagne alors dix fois le salaire d’un ouvrier mais reste modeste, en phase avec ses origines. Il ne veut pas que vivre du football qui n’est pas un vrai travail selon lui. Dans ses contrats il fait inclure une clause : banquier le matin et footballeur l’après-midi. A Strasbourg il était le responsable de l’agence Banque Populaire du Neudorf. Comme vous l’avez compris, Heisserer détestait ne rien faire, ainsi que les paresseux, aussi bien dans le football qu’en dehors (un alsacien quoi).
En 1935, le Racing Club de Strasbourg s’incline de peu dans le championnat de France et finit second, un point derrière Sochaux ! Deux ans plus tard c’est la finale de la coupe de France qui est perdue face à ces mêmes sochaliens. Des désillusions certes, mais le meneur du RCS passe des années magnifiques dans son stade de la Meinau.
Il est ensuite transféré au Racing Club de Paris en 1937 pour 150 000 francs, le plus gros transfert de l’époque ! On est bien loin de Neymar et de ses 222 millions d’euros 80 ans plus tard, mais ça reste un record pour le football d’avant-guerre. Le Racing de Paris est alors un des clubs phares de l’Hexagone, il y gagne les coupes de France 1939 et 1940 et côtoie les meilleurs joueurs français de l’époque.
La coupe du monde 1938 en France
Sélectionné en équipe de France depuis 1936, il est parmi les sélectionnés pour la Coupe du Monde 1938 qui se déroule en France. Oscar Heisserer est le meneur de cette équipe et l’une des vedettes de la compétition. Malgré son but à la huitième minute, l’équipe est éliminée (1-3) en quart de finale face à l’Italie du grand Giuseppe Meazza.
Une édition qui aura la particularité de voir se dérouler le seul match de Coupe du Monde de l’histoire joué à Strasbourg au Stade de la Meinau. Et quel match : un anthologique Brésil-Pologne qui se finira par le score fleuve de 6 à 5 (ramenez la coupe à la Meinau !).
Une dernière coupe du Monde avant la grande déflagration de la Seconde Guerre Mondiale : l’Italie fasciste de Mussolini déjà tenante du titre, remporte cette édition. L’Autriche récemment annexée par l’Allemagne (l’Anschluss) est forfait et certains de ces joueurs incorporés dans l’équipe du Reich.
Un héros pendant la guerre
Quand la guerre éclate, Oscar Heisserer est mobilisé dans la ligne Maginot. Il est au front lorsqu’il apprend l’armistice et le rattachement de l’Alsace à l’Allemagne nazie.
Démobilisé, il revient dans sa région (alors sous le joug du Gauleiter Wagner) et rechausse les crampons pour le Racing Club de Strasbourg. Il ouvre un bar tabac, le football ne lui permettant plus de gagner correctement sa vie. Alors qu’il jouait le haut niveau en D1 française, il se retrouve en Gauliga Elsaß, un néo championnat d’Alsace de niveau amateur créé par les nazis.
Dans ce championnat, le RCS d’Heisserer se trouve un rival : le Red Star Strasbourg renommé le Sportgemeinschaft SS Strassburg, un club censé représenter les pires des nazis : les SS.
Fin 1940, ce premier derby strasbourgeois à lieu au stade du Tivoli au Wacken. Le stade est plein à craquer. Les joueurs du RCS portent leur mythique maillot bleu, un short blanc et des chaussettes rouges. Une provocation ? En tout cas le score est sans appel : 3-0 pour le Racing avec un but d’Heisserer. Pendant la guerre, Oscar et ses coéquipiers feront bien attention à ce qu’aucun derby ne soit gagné par le club des SS.
Le sport étant un important véhicule de propagande, Oscar Heisserer est approché par les allemands pour devenir la star de l’équipe SS de Strasbourg et même pour devenir entraineur de l’équipe d’Allemagne, mais il restera inflexible tout au long du conflit et refusera les appels du pied des nazis.
Il utilise même son réseau de connaissance pour aider des familles juives à passer en Suisse, des épisodes sur lesquels il restera toujours discret, refusant d’être qualifié de « Juste ».
Sa notoriété le protège jusqu’en 1943. S’il ne se soumet pas aux demandes des allemands, il sera incorporé dans la Wehrmacht, direction une Panzedivision devant rejoindre le terrible front de l’Est (comme beaucoup de malgré-nous).
La décision est prise, il va fuir vers la Suisse. Pour protéger son épouse alors enceinte d’une petite fille, il fait croire, avec la complicité de ses amis, qu’il s’est enfui avec sa maitresse. Sa femme demande le divorce et fait croire que l’enfant est celui d’un officier allemand.
Il passe les Vosges de l’Alsace annexée vers Nancy et la France occupée puis traverse le Jura pour la Suisse.
En août 1944, après le débarquement allié en Normandie, il fait le chemin inverse en parvenant à rejoindre le Doubs pour s’engager dans l’Armée Française de Libération de De Lattre de Tassigny.
Il finira la guerre sous l’uniforme et prendra part aux combats de libération de sa chère et tendre Alsace.
Au niveau sportif, c’est avec amertume qu’il dira toujours que « les allemands ont pris mes plus belles années ».
Retour sur les terrains et match de sa vie
Rapidement de retour sur les terrains, il rejoint son équipe d’avant-guerre du RC Paris et remporte même la Coupe de France le 6 mai 1945 (victoire sur le LOSC 3-0 avec un but d’Heisserer).
Il retrouve le maillot de l’équipe de France le 26 de ce même mois pour un match gravé à jamais dans sla mémoire. Stade de Wembley, Londres, 60 000 spectateurs. En face, c’est l’Angleterre du futur premier Ballon d’or Stanley Matthews, dans leur stade mythique. La France est la première nation non-britannique à être invité à jouer dans cette forteresse quasi-imprenable qu’est Wembley, l’équipe d’Angleterre étant bien supérieure sur le papier.
Oscar Heisserer est le meneur technique de cette équipe de France dont les paris donnent largement perdant.
Mais c’est sans compter la Furia Francese : 1-0 pour les anglais dès la dixième minute, égalisation des français avant la pause. A la mi-temps : match nul. Les français ont évités le pire avec un arrêt sur penalty de leur gardien Julien Darui. 79ème minute c’est Lawton qui remet les pendules à l’heure, 2-1 pour l’Angleterre. Les français sont héroïques mais l’adversaire est coriace.
90ème minute : les 60 000 supporters anglais de Wembley commencent à plier bagages. Comme d’habitude leur équipe a fait le travail. Dernier coup d’œil vers la pelouse : les français ont le ballon. Alfred Aston lance Oscar Heisserer. Le meneur des bleus avance à travers la défense anglaise, fait une percée de plus 15 mètres, ajuste le gardien anglais et égalise !
L’arbitre siffle et c’est un véritable exploit des bleus en terre anglaise. Une centaine de parachutistes français stationnés à Londres et présents dans les tribunes jettent leurs bérets amarante sur la pelouse pour saluer la performance et portent en triomphe le héros.
Un match historique dans l’histoire du football français alors tellement en retard sur son voisin anglois. D’ailleurs tout comme le France-Angleterre d’un an plus tard (cette fois-ci en France) où les bleus auront même l’outrecuidance de gagner 2-1.
Ces deux résultats ne sont d’ailleurs pas comptabilisés dans les statistiques de la fédération anglaise car ces rencontres sont classées en « War Time ». Perfide Albion…
Fin de carrière de joueur, il devient entraineur
Toujours en 1945 il retourne au Racing Club de Strasbourg. A 31 ans c’est un joueur confirmé mais les années de guerre pèsent lourd sur son physique et il ne retrouvera jamais son niveau d’avant-guerre.
Il jouera une dernière finale de la Coupe de France en 1947, capitaine d’un RC Strasbourg battu par le LOSC (2-0).
Il honore sa 25ème et dernière sélection avec l’équipe de France le 4 avril 1948 contre l’Italie, et quitte le maillot bleu avec un total de 8 buts (dont un corner direct !), 7 passes décisives et 7 capitanats.
Il arrête sa carrière en 1949 et devient l’année d’après le premier entraineur du tout jeune Olympique Lyonnais.
Réputé très strict, « ce n’était pas un travail pour moi« , avouera-t-il plus tard. « Je ne supportais pas que les joueurs fassent des erreurs. » Malgré son image d’entraineur autoritaire, il mène le club lyonnais en Division 1 dès la première année en remportant le championnat de D2.
A noter qu’il rechaussera les crampons le temps d’un match en 1951 (en tant qu’entraineur-joueur pour pallier à des blessures) et marquera à cette occasion le dernier but en D1 de sa grande carrière (à 38 ans).
Fin de vie
Après une courte expérience d’entraîneur du Racing en 1955 qui tourna court, il se retire du football. Il se consacre alors à son activité de banquier puis monte une cordonnerie à Colmar (voir interview ci-dessous)
Le plus grand joueur de l’histoire du Racing Club de Strasbourg passera sa retraite tranquillement du côté de la Montagne Verte pas loin de son jardin, le Stade de la Meinau, avant de s’éteindre en octobre 2004, à l’âge de 90 ans..
Oscar Heisserer laisse encore de nos jours une trace indélébile dans l’histoire du Racing et de l’équipe de France. Que ce soit sur les terrains avec sa brillante carrière ou sa résistance pendant la guerre, il a toujours été un exemple d’abnégation et de travail. Aujourd’hui, son nom est malheureusement trop peu connu et aucune rue ne porte son nom à Strasbourg. Aucun hommage visible du côté de la Meinau non plus…
Il serait peut-être temps de faire honneur à sa carrière et son histoire, pourquoi pas en donnant son nom à une tribune du Stade ! Le débat est lancé en tout cas…
Annexes photos: